A midi, la grande avenue de Jaracuya pétaradait de tripoteurs, de scooters chevauchés par des familles entières, de camions dégageant une épaisse fumée noire et d’odeurs de gasoil mêlées aux poissons frits. Dans la bousculade du trottoir, l’Australienne cria pour lui indiquer à droite à un passage entre deux boutiques et fit mine de la pousser vers ce qui ressemblait à un corridor sombre entre deux hauts murs, où deux personnes n’auraient pas marché de front.Elle déboucha alors sur une courette en terre battue et, toujours sans un mot, Ruby désigna le premier étage d’une baraque à la façade rose écaillée, ternie de coulures descendant du toit de tôle. L’escalier intérieur en béton la mena à un couloir au crépi qui avait du être blanc, le sol couvert d’un linoléum verdâtre gondolé, boursouflé même par endroits.
Dans ce décor pourri, tout au fond, détonnait une porte en bois exotique gravé, où pendait une petite pancarte annonçant Dr Gunarawa, Lawyer.
Ruby fit signe d’entrer sans façon mais Lily poussa lentement le battant qui frottait d’ailleurs au sol. Le large rectangle de la pièce baignait dans la pénombre, transpercée par la lumière éclatante du dehors, à travers les fenêtres à jalousies de bois. Lily songea à cet instant à un bureau de détective privé sorti de ces vieux films policiers américains qu’adorait sa mère.
Au fond de la pièce, pourtant, dos à la fenêtre, l’avocat ne fumait pas de cigare et son bureau en formica, aux pieds en tube d’acier, n’avait rien de l’acajou lustré. Des piles de papiers ou de dossiers s’effondraient sous la table.
A leur entrée, le gros homme n’avait pas relevé la tête, ses yeux plissés au ras de la feuille sur laquelle il écrivait. Lily lâcha un « Hello, Doctor » timide qui resta sans écho. Seul répondait le bourdonnement de mouches et le grincement des pales du brasseur d’air au plafond. Le bruit de la circulation ronronnait dans le lointain.
S’habituant à la pénombre, Lily parcourut la pièce d’un regard panoramique. Il y avait naturellement le drapeau des indépendantistes papous, des lignes bleues et blanches, et l’étoile blanche sur fond rouge, qui prenait toute une paroi. Les autres murs étaient couverts d’affiches militantes, de portraits aux poings dressés et de nombreuses pages de journaux. Instinctivement, Lily s’approcha pour lire et remarqua une page en anglais dont la une montrait l’avocat sur les marches d’un palais de justice américain, titrée d’un « Papus versus Mining Company ».
Denis
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